Le plus anonyme des grands de la chanson française...
« Il a attendu Godot avec Roger Blin. Il a peaufiné la chaleur humaine avec Georges Brassens. Au théâtre il a pris un bide aussi retentissant que respectable avec Michel Piccoli. Il a fait un « tube » sans le faire exprès. Jusqu'au corbillard, il a attendu son carrosse».
José Artur
Quel chanteur peut se targuer d'avoir travaillé à la fois avec Gainsbourg, Ferrat et Brassens, écrit 200 chansons enregistrées, 25 dramatiques, dont 20 programmées sur France Culture, dix livres de contes pour enfants et on en passe ?
Jeune et sportif exercé, il désirera d'abord être coureur cycliste, puis comédien, puis... ne désirera plus rien (!) On lui fait alors apprendre l'horlogerie, sans doute pour lui inculquer la notion du temps qui passe...
Son apprentissage terminé, il arrive à Paris en 1950 et s'inscrit... au cours d'art dramatique de Roger Blin, puis chez Jean-Louis Barrault.
Car le théâtre est sa passion, et il le prouvera aussi bien en tant qu'acteur qu'auteur.
Mais dès son plus jeune âge, le démon de l'écriture le taraude : il griffonne des chansonnettes et improvise des petites pièces : « Quand j'allais, une fois de temps en temps, chez mes grands-parents maternels, dès que j'arrivais dans la cuisine, j'installais le théâtre (j'avais dix ou douze ans...) et, immédiatement, je chantais une chanson sur la famille ! Est-ce de ma faute si j'avais cette facilité ? Je traîne ça comme une infirmité : on me reproche de ne pas avoir de mal à écrire mes chansons. Mais je n'ai jamais eu de mal à les écrire ».
Tout Louki est dans cette modestie, cette pudeur, ce détachement d'apparence qui est la marque des « coeurs purs », comme disait Caussimon.
C'est le comédien Lucien Raimbourg, avec lequel il joue dans « En attendant Godot » de Beckett mis en scène par Roger Blin, qui découvre parmi ses chansonnettes, écrites au dos de factures et de prospectus, le texte de « La môme aux boutons » dont Lucette Raillat fera en 1954 le succès que l'on sait.
Comme malgré lui, Pierre se trouve entraîné dans le métier de la chanson, il signe chez Vogue, puis se retrouve avec Jacques Canetti chez Philips, dans la même équipe que Brassens, Brel, Leclerc, Catherine Sauvage... Pour finir dans un tiroir avec Boby Lapointe et Roger Riffard, parce que Jacques Canetti avait quitté la maison !
Louki est sans doute le seul à ne pas se vanter de la profonde estime et de l'amitié liée avec Georges Brassens - qui lui inspira d'ailleurs une bien jolie chanson posthume sur leurs relations : « Allo, viens je m'emmerde ». Car ces deux-là, aussi bougons et bons gars l'un que l'autre, deviendront vite inséparables. Le public ne s'y trompe pas, qui accorde en 1972 à Louki, vedette américaine du grand Georges à Bobino, autant de succès qu'au maître : leurs textes, leur humour, sont de la même eau.
Avec sa programmation à Bobino, Pierre pensait alors avoir enfin forcé le destin, jusque-là plutôt peu favorable. Mais une fois de plus, la maison de disques, embarrassée devant un tel cas d'espèce qui faisait à l'époque le bonheur des émissions de Jean-Christophe Averty, ne fit aucun effort. Mais il faudrait un livre entier pour conter les talents, les déboires et les succès de Pierre Louki !
Quand on lui demande quel a été sa plus grande réussite, ce Pierrot tendre, lunatique et modeste qui dit aimer les arbres et les ânes et détester les cons, qui a fait mille trente-trois tours autour du bois de Vincennes et s'est entraîné avec Michel Jazy et Bernard Bouttier (préférant boxer avec Jazy et courir avec Bouttier !), répond toujours : « Avoir été l'ami de Georges Brassens ».
texte adapté de Pierre Achard (SACEM)